Lorsqu’un artiste s’installe dans un nouveau pays, le processus d’adaptation conduit souvent à des rencontres inattendues : visuelles, émotionnelles et culturelles. Dans Smuggler, l’artiste français Eric Kaiser nous invite à entrer dans ce processus, celui de l’observation tranquille, de la transformation personnelle et, en fin de compte, de l’intégration créative. Depuis son arrivée à Malte fin 2022, Kaiser s’est immergé dans le langage visuel et le tissu culturel de l’île.
Composé de plus de quarante peintures, cet ensemble d’œuvres vibrantes illustre le dialogue de Kaiser avec son environnement d’adoption, un dialogue filtré à travers l’objectif d’un protagoniste distinctif et inattendu : le cactus à figues de Barbarie (Opuntia ficus-indica), ou il-bajtra tax-xewk. Introduite dans la Méditerranée à partir des Amériques, cette plante s’est depuis enracinée sur le territoire maltais, devenant à la fois omniprésente et emblématique. C’est précisément cette double identité – importée mais pleinement assimilée – qui a trouvé un écho chez Kaiser, qui occupe lui-même la position d’un étranger en quête d’appartenance.
Ses premières explorations de Malte, effectuées à pied, ont été déterminantes pour la gestation de cette série. La figue de Barbarie, avec sa forme sculpturale et son symbolisme chargé, a progressivement pris une place centrale dans ses compositions. Elle est apparue comme un moyen de « faire passer en contrebande » des significations personnelles dans des contextes reconnaissables et d’insérer sa vision dans le tissu de la culture visuelle maltaise.
Le titre Smuggler fonctionne donc à plusieurs niveaux. Il s’agit d’un clin d’œil au voyage migratoire de la figue de Barbarie, mais aussi d’une métaphore de la méthode de l’artiste : transposer, superposer et détourner des images et des significations à travers des histoires visuelles. Les peintures de Kaiser ne dissimulent pas cet acte d’intervention culturelle ; au contraire, elles le soulignent avec esprit et audace. En superposant le motif du cactus à des sujets classiques – qu’il s’agisse de scènes religieuses, de détails de personnages ou de natures mortes – Kaiser crée des œuvres qui semblent à la fois familières et étranges.
Dans série Cactus Still life Religious, l’iconographie chrétienne traditionnelle est réimaginée avec une irrévérence ludique. Des bouteilles de produits de nettoyage remplacent les figures sacrées, encadrées par les silhouettes des cactus, un geste qui déstabilise les lectures conventionnelles tout en invitant à de nouvelles interprétations. Cette approche impertinente et affectueuse fait écho à l’exubérance de la festa maltaise, où le sacré et le profane se rejoignent souvent dans des spectacles éblouissants.
Kaiser s’intéresse aussi directement à la collection permanente du MUZA, choisissant comme points de départ des chefs-d’œuvre de Guido Reni, Mattia Preti, Tommaso Minardi ou Antonio Barrera. Son approche n’est pas une confrontation mais une conversation. Ces œuvres historiques deviennent la toile de réinterprétation, permettant une fusion dynamique entre le passé et le présent. Par ce biais, Kaiser attire l’attention sur la nature évolutive du patrimoine culturel : comment il est constamment recadré, réaffecté et revu.
La série Cactus Botanic isole la plante elle-même en tant que sujet digne de contemplation esthétique. Dépourvues de narration, ces œuvres célèbrent la forme, la couleur et la texture des cactus, les élevant des marges du paysage au centre de la toile. À l’inverse, Cactus Faces superpose le motif à des figures emblématiques de l’histoire de l’art – comme la Judith du Caravage – en les rendant partiellement obscures, comme si elles étaient vues à travers le voile d’un paysage étranger. Dans Ghost Cactus, l’inversion se produit : plutôt que de placer le cactus sur des images existantes, il devient le substrat sur lequel des motifs historiques sont projetés. Par ces inversions et ces superpositions, Kaiser joue avec la perméabilité du sens.
Sa palette est vive et affirmée, et sa gestion de l’échelle est tout aussi assurée. Les œuvres vont de toiles intimes de 50 x 50 cm à des pièces expansives de 200 x 120 cm, chacune étant l’occasion d’une expérimentation formelle et conceptuelle. Mais toutes les œuvres sont marquées par une éthique cohérente : révéler, transposer et divertir, tout en honorant les traditions avec lesquelles il s’engage.
Avec Smuggler, Eric Kaiser propose plus qu’un ensemble d’œuvres, il offre une méditation sur la traduction culturelle. Comme le cactus qui s’adapte et transforme l’espace qu’il habite, Kaiser apporte avec lui des traces d’expériences passées – il a vécu en France, en Suisse, au Royaume-Uni et maintenant à Malte – et les intègre dans un nouveau langage visuel. Ses œuvres ne cherchent pas à imiter l’art maltais, mais à dialoguer avec lui, à l’habiter et, ce faisant, à l’enrichir d’humour, de couleurs et de complexité.
En fin de compte, Smuggler est un hommage artistique à un lieu en mutation : une Malte vue par des yeux étrangers, réfractée par la mémoire artistique et qui nous revient sous une forme imaginative. C’est une invitation à embrasser l’hybridité, à considérer la migration culturelle non pas comme une dilution, mais comme un enrichissement, et à reconsidérer le pouvoir tranquille des choses et des gens qui s’enracinent dans des endroits inattendus.
Texte original: A sense of belonging
When an artist relocates to a new land, the process of adaptation often leads to unexpected encounters: visual, emotional, and cultural. In Smuggler, French artist Eric Kaiser invites us into this very process, one of quiet observation, personal transformation, and ultimately, creative integration. Since arriving in Malta in late 2022, Kaiser has immersed himself in the island’s visual language and cultural fabric.
Comprising more than forty paintings, this vibrant body of work charts Kaiser’s dialogue with his adopted environment, one filtered through the lens of a distinctive and unexpected protagonist: the prickly pear cactus (Opuntia ficus-indica), or il-bajtra tax-xewk. Once introduced to the Mediterranean from the Americas, the plant has since taken root across Malta’s terrain, becoming both ubiquitous and iconic. It is precisely this dual identity — imported yet fully assimilated — that resonated with Kaiser, who himself occupies the position of an outsider seeking belonging.
His early explorations of Malta, undertaken on foot, were crucial to the gestation of this series. The prickly pear, with its sculptural form and charged symbolism, gradually took centre stage in his compositions. It emerged as a device through which he could “smuggle” personal meaning into recognisable contexts, and insert his vision into the fabric of Maltese visual culture.
The title Smuggler thus functions on multiple levels. It is a nod to the prickly pear’s own migratory journey, but also a metaphor for the artist’s method: transposing, overlaying, and diverting images and meanings across visual histories. Kaiser’s paintings do not disguise this act of cultural intervention; rather, they highlight it with wit and boldness. By superimposing the cactus motif onto classical subjects — be they religious scenes, details of figures, or still lifes — Kaiser creates works that feel at once familiar and strange.
In the series Cactus Still life Religious, traditional Christian iconography is reimagined with a playful irreverence. Bottles of cleaning products stand in for sacred figures, framed by the silhouettes of the cactus pads, a gesture that destabilises conventional readings while inviting new interpretations. This cheeky yet affectionate approach echoes the exuberance of the Maltese festa, where sacred and secular often coalesce in dazzling displays.
Kaiser also engages directly with MUZA’s permanent collection, selecting masterpieces by Guido Reni, Mattia Preti, Tommaso Minardi, and Antonio Barrera as points of departure. His approach is not one of confrontation but of conversation. These historic works become the canvas for reinterpretation, allowing for a dynamic fusion of past and present. Through this, Kaiser draws attention to the evolving nature of cultural heritage: how it is constantly reframed, repurposed, and re-seen.
The Cactus Botanic series isolates the plant itself as a subject worthy of aesthetic contemplation. Stripped of narrative, these works celebrate the form, colour, and texture of the cactus pads, elevating them from the margins of the landscape to the centre of the canvas. In contrast, Cactus Faces overlays the motif onto iconic figures from art history — such as Caravaggio’s Judith — rendering them partially obscured, as if viewed through the veil of a foreign landscape. In Ghost Cactus, the inversion occurs: rather than placing the cactus on top of existing images, it becomes the substrate onto which historical motifs are projected. Through such inversions and overlays, Kaiser plays with the permeability of meaning.
His palette is bright and assertive, and his handling of scale is equally confident. Works range from intimate 50 x 50 cm canvases to expansive 200 x 120 cm pieces, each an opportunity for formal and conceptual experimentation. But across all works lies a consistent ethos: to reveal, transpose, and entertain, while honouring the traditions he is engaging with.
In Smuggler, Eric Kaiser offers more than a body of work; he offers a meditation on cultural translation. Like the cactus that both adapts and transforms the space it inhabits, Kaiser brings with him traces of past experiences — having lived in France, Switzerland, the United Kingdom, and now Malta — and threads them into a new visual language. His works do not seek to imitate Maltese art but to converse with it, to inhabit it, and in doing so, to enrich it with humour, colour, and complexity.
Ultimately, Smuggler stands as an artistic homage to a place in flux: a Malta seen through foreign eyes, refracted through artistic memory, and returned to us in an imaginative form. It is an invitation to embrace hybridity, to see cultural migration not as dilution, but as enrichment, and to reconsider the quiet power of things, and people, that take root in unexpected places.